Présente toi d’abord en quelques mots :

Je suis un guetteur de saveurs. Dans ce que j’écris, j’empreinte au monde ses soleils, j’en remplis mon carquois de ses arcs-en-ciel et je danse sur le bout du nez du jour. Parfois, de grandes questions se dressent, en chemin, hirsutes et guerrières, c’est quand les hommes deviennent fous. Alors je sors mes plumes et mes feuilles et je bricole des yeux d’or à tous les enfants du vent.

1) Te sens-tu français ou algérien ?

Depuis 10ans , je me lève, je prends des corn-flakes, suivi d’un jus d’orange. Le tout en lisant Libé et en écoutant France Inter. Je descends voir le courrier, factures, lettres, pubs. Je tire des sous au distributeur et je vais au bistrot du coin, prendre un bon café en discutant le coup avec Bernard. Donc je consomme français, chaque jour. L’Algérie? C’est soudain cette blessure dans le dos du cœur, cet alibi du drame, avec ces 200 000 morts enterrés sous ma peau. L’Algérie, c’est ces millions de mains en sang qui s’accrochent aux basques de mes rêves en les déchiquetant, et qui me hurlent en silence: dis quelque chose au monde!

2) Qu’est-ce qui nourrit ton écriture ?

Des choses très simples. Mon vécu, la musique, les lectures, la petite culture du quotidien. Des visages, une poignée de porte rouillée, une jeune fille sur un vélo, un chant d’enfant au loin.

3) Comment définirais-tu ce qui caractérise l’ensemble de ton travail d’écrivain ?

Une constante recherche d’un équilibre entre humour, poésie et… dignité. A définir cet endroit précis où ces trois choses font Un. Pour moi, c’est l’avènement délicieux de la définition technographique d’une écriture particulière, singulière.

4) Si l’on ne considère que les trois pièces qui seront présentées dans la lisière algérienne, qu’est ce qui te semble les lier ou au contraire les distinguer l’une de l’autre ?

Ce qui les lie c’est cet incommensurable désir de survie civique ( Le Portefeuille), intellectuelle (El Maestro) et physique ( 20 ans à Alger). C’est comment chaque pièce s’invente son propre esquif pour surfer sur le drame. Ce qui les singularise, c’est peut être le ton, social pour Le portefeuille, psychiatrique pour El Maestro et tactile pour 20 ans à Alger.

5) Parle moi un peu de ce travail d’écriture mené pour le Portefeuille, puis pour Tarek Bélélé, comment as-tu vécu ces deux expériences ?

Dans les deux cas, surtout pour Tarek Bélélé, la démarche a consisté à articuler, à organiser le chaos, à le structurer. D’autant que la démarche est collective, le premier travail avait pour objectif de définir la stratégie du groupe, à poser des pistes de recherche très au feeling d’abord , pour finalement découvrir l’Amérique alors qu’on devait découvrir les Indes. Pour moi, chaque fois que je suis face à un nouveau groupe d’écriture, j’essaye tout de suite de repérer des béliers, des porteurs d’eau, des relais d’énergie. Il y a quelque chose de tacite, de l’ordre du pacte, de la convention, qui se trame entre nous. De la confiance, surtout.
Une fois cette étape réglée, tout peut s’envisager. La narration devient alors tangible, on neutralise des oppositions, on sculpte des personnages, on favorise la dynamique du récit. Et surtout, on évacue le commentaire, la sensiblerie, le nombril, la vapeur, pour ne privilégier que l’anecdote, ruisselante de réel, la parole enceinte de tous les possible, qui va se liberer de tous les dogmes et nous imposer sa propre nature: à savoir ce qui nous différencie des animaux, cette formidable capacité de faire fiction de toute chose, et , partant, de donner visage à toute trace de l’homme.

Propos recueillis par Arnaud Weber.